EPILOGUE

Il faut se rendre à la raison : c’est aujourd’hui… 60 jours que j’ai remis le pied à terre et que je voulais mettre le point final à mon histoire !

Mais la tête n’a toujours pas refait surface…

Je ne suis pas revenue indemne de cette merveilleuse parenthèse. La mer m’a changée.

Les idées folles qui me trottaient dans la tête depuis des années ont eu raison de mes hésitations.

Embarquer seule, sur un porte conteneurs de cette envergure pour un périple de trois mois n’était pas une décision qui devait se prendre à la légère : c’était une Aventure avec un grand A, aventure voulue pour moi mais qui pour mon entourage était subie et au-delà de leur compréhension !!

Très vite, cette aventure est devenue un quotidien où je me sentais comme un poisson dans l’eau (hé-hé).

Aujourd’hui, j’ai l’impression de n’avoir pas vécue cette période de ma vie. au fur et à mesure du temps qui passait, je devenais presque un double. Je ne savais plus qui j’étais, où j’étais, à quelle heure du jour ou de la nuit je vivais (changement d’horaires 28 fois pendant le périple !), ni à quelle date (heureusement mon grand calendrier me rappelait à l’ordre !)

J’ai atteint en un mois, une sorte de plénitude : plus rien n’avait d’importance, ni le passé, ni l’avenir. Passer des journées entières sans parler, sans infos, sans reproches, sans commérages,

se laisser aller à la détente, sans culpabilité bref être « bien » tant physiquement que moralement.

Aujourd’hui, c’est comme une promenade intérieure. Je veux bien raconter mais pas trop, tout simplement parce que ces trois mois ont été remplis d’émotions, de découvertes, d’enrichissement personnel qu’i n’est pas facile de transmettre.

La vie auprès de « gens de mer » a été pour moi intense : j’ai eu des rapports exceptionnels avec l’équipage : philippins, russes, ukrainiens (au moment de la guerre entre la Russie et l’Ukraine), gens de mer qui embarquent pour de longs mois de navigation (trois ou six ou neuf mois) loin des leurs, avec des compagnons de route qu’ils ne connaissent pas et avec lesquels ils vont devoir temporiser !! J’ai pu approcher ces hommes lors de leur travail quotidien, tous polyvalents et tous en osmose apparemment lors des tâches qui leur étaient imposées .J’ai découvert les règles de la navigation au long cours, la réalité du transport du fret maritime mondial, j’ai eu le privilège d’évoluer dans beaucoup de ports du monde, là où personne n’a accès, en dehors des professionnels, privilège aussi de communiquer avec des peuples du monde entier, tous plus curieux et disponibles les uns que les autres lorsqu’ils découvraient que nous étions « passagers sur un cargo » !, de découvrir chaque jour sur les cartes, en passerelle, les routes maritimes qu’allait emprunter le MANET, jamais sans y être invitée… Je crois qu’il n’y a rien de plus insupportable pour les officiers que d’avoir des passagers qui jouent les « mouches du coche » et qui savent tout mieux que les officiers !

J’ai eu aussi le privilège de me sentir exister, pour moi seule et d’être confrontée à des réactions inattendues lors de tempêtes extravagantes durant lesquelles plus aucune réflexion ne m’était possible.. Mais même pas peur !!

Le bruit des moteurs et des chaînes de forçats des conteneurs m’était devenus familiers. Je dirais presque que aujourd’hui dormir dans le silence m’inquiète !!

J’ai vécu des moments de sérénité inexplicables lors de la contemplation de l’océan, avec son plus ou moins bon caractère, accompagné sur le pont avant, d’un vol d’oiseau inattendu ou d’un ballet de dauphins tant attendu !!, l’extase d’une dérive dans l’océan changeant mille fois de couleurs pendant quelques heures lors de pannes presque bienvenues, sans bruit si ce n’est le clapot de la vague sur la dérive, sous un soleil de plomb, seule sur les coursives, attendant des heures que le ciel me dépose sous les yeux des milliards d’étoiles.

Acceptée par tous, j’ai pu passer de longs moments en passerelle, tant le jour que la nuit, en fonction des escales plus ou moins tardives ou matinales.

J’ai pu perfectionner mon anglais, grâce à Sue l’anglaise : je suis prête pour un nouvel embarquement, car malgré tout, j’ai l’impression d’être passée à côté d’une multitude de choses, à commencer par les dessins, croquis ou peintures que je voulais faire sur le vif durant ce voyage, en suivant par le manque d’indépendance que j’ai ressenti lors de la moitié des escales et que je n’ai pas su gérer par rapport à un coloc adorable mais trop présent en escale !

Je n’oublierai jamais, le regard de Rico, le messman au sourire triste, le regard de Valerii, que je pensais être sourd et muet ! (mais non !! - pas pendant les fêtes !), ni la bonne humeur du Capitaine Oleg malgré les nouvelles terribles qu’il recevait chaque jour d’Ukraine ! ni l’humour du Second Oleksiy, ni la joie de vivre de nos deux cuisiniers Julius et Daniel, ni la gentillesse des marins que je croisais tous les jours durant mes marches actives sur le Pont A et que je ne reconnaissais pas, cachés sous leurs oreilles de Mickey, leur cagoule et leurs grosses lunettes de protection, mais je sais que tous étaient sur le Pont le 13 juin pour me dire « Bye Bye Mary ».

Ce voyage n’est pas un voyage touristique. Il faut une bonne dose de tolérance et d’adaptabilité afin d’accepter les changements de programmes et les différents rythmes, pour ne pas revenir déçue d’une telle expérience.

En bref, il faut aimer la mer et tout ce qui s’y rapporte : aimer les ports, aimer les bateaux, aimer le vent, aimer observer les lumières, les couleurs, aimer être seul. J’ai retrouvé le vent et les embruns de mon enfance.

Il me fallait prendre la mer pour prendre l’air…

J’embarquais pour peindre, lire, oublier, dormir, me laisser vivre…

Je n’ai pratiquement pas peint, je n’ai pratiquement pas lu… manque de temps !

je n’ai pratiquement pas dormi… J’ai oublié, je me suis laissée porter et… curieusement,… j’ai écris !

Ce voyage a été la plus belle médecine que j’ai pu m’administrer…

Epilogue